L'uvre
de Gérard Bignolais pose au plus haut degré
de raffinement psychologique le problème de la
pratique du moulage en sculpture. Une pratique courante,
à laquelle ont recours de nombreux artistes contemporains
de diverses tendances esthétiques, mais qu'il
a su porter à un degré particulièrement
original dans l'élaboration de l'expressivité
du corps de ses modèles.
Le
corps pour Bignolais est le miroir des pulsions intérieures
de l'être. Cette approche globalisante du corps,
il en a fait d'abord l'expérience sur le sien.
Né en 1937 à Rosières près
de Bourges, une enfance maladive l'a contraint à
plusieurs hospitalisations. Ce contact avec le monde
de la souffrance humaine engendre en lui une rébellion
qui s'étendra à toutes les formes d'autorité.
En 1955, il abandonne tout suivi médical, tente
le suicide et échappe à la guerre d'Algérie
par une réforme définitive. En 1957 il
s'installe à Paris et découvre l'art contemporain.
Autodidacte en peinture, dessin et gravure, il aborde
à partir de 1963 la technique du cuivre repoussé
qu'il applique à la figure humaine, les blessures
du métal suggérant celles de l'être.
Son
engagement pendant trois ans dans l'anarcho-syndicalisme
dans la ligne de mai 68 le responsabilise vis à
vis du corps social. Il fait sa première exposition
de dessins et de cuivres repoussés en 1971, et
dès 1975 pratique, en parallèle avec ses
bas-reliefs, le moulage au plâtre et la photographie.
La même année, Bignolais s'initie à
l'empreinte corporelle avec un modèle vivant.
Dès
lors le rythme de la production et des expositions s'accélère
et la démarche s'affirme, dans son thème
: le corps dans ses pathologies et ses mutilations,
le vieillissement, la mort, et dans sa forme : le corps
est d'abord figuré par les objets du corps, puis
moulé en plâtre et ensuite en pierre recomposée
de couleur blanche. Le social entre en force dans l'uvre,
souligné par le réalisme de la figuration
et la précision des détails anatomiques.
En 1980 les uvres moulées de Bignolais,
qualifiées de " Rebuts sociaux " seront
censurées.
Pour
l'artiste son art est objet/sujet de recherche. Il pratique
l'expérimentation des matériaux, des sujets,
de la mise en scène des pièces moulées.
En 1983, il procède en milieu hospitalier à
Grenoble à la prise d'empreintes de corps de
femmes enceintes. Une semi-paralysie des poignets abrège
son séjour. Les uvres au nombre de seize,
ne seront achevées et exposées qu'en 1990.
Durant les années 80 il présente diverses
installations thématiques ( les Penseurs de Gérard
Le Cloarec ) et organise même, à Fontenay-sous-Bois
un salon au titre significatif : " Qui a tué
la sculpture ? ".
1988,
c'est la mort de sa mère, au terme d'une longue
agonie qu'il observe et photographie ; c'est aussi le
début de son initiation à la céramique.
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Ses
premières sculptures en terre cuite renouvellent
son approche introspective du corps et la valeur sémiotique
de la peau. Le champ cutané avec ses entailles,
ses craquelures, ses mutilations livre l'intimité
du corps et précise la banalité de la
souffrance.
En
1990 son exposition " Face, dos, profil "
à la galerie Pierre Marie Vitoux à Paris
marque le début d'une collaboration active qui
dure encore.
Sa première sculpture d'un corps humain en vraie
grandeur, cuite à haute température (1300°)
date de 1994 et désormais ses personnages debout,
" Figures-fictions " nées de la rencontre
entre " un sculpteur-individu " et un "
modèle-individu " comme l'artiste se plaît
à les nommer, constitue un atlas " in progress
" de la condition humaine.
Dans
l'uvre de Gérard Bignolais la prise d'empreinte
corporelle est le moteur même du processus créateur.
Elle demande un engagement technique, physique et psychologique
dans lequel le sculpteur est passé maître.
C'est un moteur unique dans son intensité et
qui conditionne le modèle dont les réactions
sont parfois imprévisibles, et qui constitue
une part intégrale de l'expérience, du
dialogue intuitif qui s'instaure entre les protagonistes
de l'opération.
Dans
une première période, les sculptures tirées
en pierre reconstituée blanche étaient
grandeur nature et avaient la peau lisse : elles se
prêtaient à l'occupation d'espaces réels.
Dans un second temps le sculpteur est passé de
la pierre à la terre cuite. La cuisson rétrécit
de 8% la dimension des pièces mais elle permet
une profusion d'effets de matière et de couleur
en surface, sur la peau-témoin. Les nouvelles
uvres se prêtent à une présentation
plus classique, sur un socle qui les surélève
et souligne la gamme chromatique diversifiée
sur les parties du corps.
La
transposition des statues en terre les auréole
d'un marquage mystérieux, comme si le passage
du feu leur avait laissé les traces d'un au-delà
du temps, comme si un chaman les avait enduit d'un redoutable
élixir épouvantail des mauvais esprits.
Avec leur peau glabre, obscure, elles nous intriguent
et nous fascinent, ces effigies de la condition humaine,
que nous sentons figées dans leur immanence intemporelle.
Elles
gardent à jamais le secret du message d'alchimie
affective qu'ont émis l'artiste et le modèle
dans le moment magique de la prise d'empreinte et elles
nous donnent à entrevoir ou à pressentir
l'image de l'autre qui est en nous. |